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La fête des rois et sa tradition dans le Sundgau

10 min de lecture

C’est mon ancien responsable Juerg Raeschle qui lors d’une réunion dans l’arrière- pays suisse me corrigea sur la signification des lettres C+M+B que nous avions vues lors de la journée sur de nombreuses portes. Je pensais qu’il s’agissait des initiales des trois rois Mages alors que Juerg soulignait leur origine religieuse. Je lui avais promis de faire des recherches et nous lui devons cet article sur la fête des rois.

Avec le jour des Rois s’achève le cycle de Noël. On illumine une dernière fois le sapin avant de lui retirer sa parure.

Les trois rois Mages – ancienne impression rehaussée à l’or
vers le XVIIe siècle – collection Pierre & Marc.

Les douze jours de Noël à l’Epiphanie #

Dans l’antiquité, cette fête marquait la fin des douze nuits qui se situent entre Noel et l’Épiphanie.

Plusieurs interprétations existent pour ces douze jours. Avant le christianisme, cette période était le symbole de bouleversements et de passage. Ces 12 jours représentent le décalage entre le calendrier lunaire et solaire.

Une année fait 12 mois lunaires. La période entre deux nouvelles lunes, est de  29,5 jours. Cela fait un total de 354 jours pour l’année.
Il faut ajouter 12 jours pour atteindre l’année solaire :  6 jours après Noël et 6 jours avant l’Epiphanie se déroule le passage à la nouvelle année.
Le 6 janvier fut choisi car on fêtait à cette date la manifestation (Epiphaneia) du dieu grec Dionysos. Dionysos, est le dieu des pauvres et des riches, il s’intéresse à la destinée de chacun. Comme c’est un dieu lié aux saisons, il meurt avec le déclin de la végétation et ressuscite avec la lumière croissante.
C’est la naissance du soleil coïncidant avec la recrudescence des eaux, la renaissance de la nature.

Une autre interprétation est décrite par Michèle Bardout :  » c’est durant ces nuits les plus longues de l’année que la déesse Perchta volait dans le ciel suivie d’une horde d’esprits migrateurs. Selon la religion des Gaulois, ces passages célestes étaient dus à la descente des âmes de la partie supérieure à la partie inférieure de l’univers. »

En Alsace, cette période a donné naissance aux traditionnels ‘LosTaga’ qui permettent, paraît-il, d’obtenir un aperçu de la future météo sur 12 mois. Les Sundgauviens étaient persuadés qu’il était possible de connaître le temps qu’il ferait l’année suivante : ainsi le temps des douze jours et nuits entre Noël et l’Epiphanie serait le même que celui des douze mois de l’année ; ainsi, s’il neigeait au 1er jour, on aurait de la neige au mois de janvier, si le 6e jour était pluvieux, on aurait de la pluie en juin.

L’origine de l’Epiphanie #

Le mot grec Epiphaneia signifie « manifestation » avec la notion de rassemblement, le terme a été traduit en latin par « apparitio » : apparition.
L’Epiphanie chrétienne fut instituée par l’Eglise grecque puis adoptée par l’Eglise latine. Longtemps fixée au 6 janvier, par une décision papale au V° siècle, l’Epiphanie est maintenant célébrée le premier dimanche de janvier.
La fête de l’Epiphanie, réplique orientale de la fête de Noël, a remplacé la fête du solstice d’hiver fixée en Egypte au 6 janvier.

Les rois Mages #

C’est dans l’évangile de Matthieu que l’on trouve le récit de l’Épiphanie. Il raconte que des mages venus d’Orient ont été guidés par une étoile jusque vers Jésus qui venait de naître. « Ils se prosternèrent devant lui. Ils ouvrirent leurs coffrets, et lui offrirent leurs présents : de l’or, de l’encens et de la myrrhe. », écrit-il. Matthieu ne nomme pas du tout les mages dans son évangile. Le récit ne dit même pas qu’ils sont trois. Ce n’est que vers le VIe siècle qu’apparaissent les noms de Gaspard, Melchior et Balthazar dans « la légende dorée » de l’archevêque Jacques de Voragine.

Le premier des Mages s’appelait Melchior, c’était un vieillard à cheveux blancs, à la longue barbe. Il offrit l’or au Seigneur comme à son roi, l’or signifiant la Royauté du Christ.

Le second, nommé Gaspard, jeune, sans barbe, rouge de couleur, offrit à Jésus, dans l’encens, l’hommage à sa Divinité.

Le troisième, au visage noir, portant toute sa barbe, s’appelait Balthazar ; la myrrhe qui était entre ses mains rappelait que le Fils devait mourir ».

l’Église catholique leur reconnaît des reliques qui sont conservées, depuis le XIIe siècle, à la cathédrale de Cologne tandis que la tradition orthodoxe conserve le reliquaire de leurs présents au monastère Saint-Paul du mont Athos.

La galette des rois #

La galette des rois à la frangipane, servie à l’Epiphanie, est une recette typiquement française qui existait bien avant l’Epiphanie. Elle était partagée en autant de parts que d’invités, plus une part dite « la part du bon Dieu », destinée au premier pauvre qui se présentait.

La fève dans la galette des rois tirerait son origine du temps des Romains. Au début de janvier, les saturnales de Rome (grandes fêtes de l’Antiquité romaine en l’honneur de Saturne) élisaient le roi du festin.

Aujourd’hui, les fèves sont devenues des figurines en porcelaine, collectionnées par de nombreux favophiles.

Pour l’anecdote…

Depuis 1975, les boulangers-pâtissiers qui préparent chaque année la galette des rois de l’Elysée n’y ajoute pas de fève afin que le Président de la République ne puisse pas être couronné.

La fève a été tout d’abord un haricot ou encore une amande. La personne qui avait la fève était roi, en alsacien Bohnenkenig, mais devait également offrir la prochaine galette ou une tournée. Souvent les galettes étaient mangées sans que l’on ait de roi… On a donc remplacé les haricots ou amandes par une fève en céramique.

Des mystères aux quêtes actuelles dans le Sundgau #

La légende des trois rois Mages (Dreikénigspiel)  était jouée devant les édifices religieux avant la messe : les mystères. Un ancien écrit existe du XIIe siècle : Strasburger Dreikönigspiel.

Les mystères ont fait place à une tradition bien ancrée en Alsace mais également en Suisse, Allemagne et Autriche sous le nom de Sternsinger.

Trois enfants ou servants de messe s’habillent en rois mages. Ils portent chacun un petit coffret censé contenir de l’or, de la myrrhe et de l’encens. L’un deux porte au bout d’une perche une étoile. Il passe de maison en maison en chantant

et quêtent aprés. Les servants de messes gardaient les offrandes pour leurs services aujourd’hui les dons sont reversés à des associations caritatives.

A Illfurth depuis 1979, différents groupes de rois mages sillonnent le village et interprètent leur chanson traditionnelle  » Es kàmma drei König mit ihrem Starn » contre une petite pièce pour une association caritative. Les rois et les habitants de Illfurth se retrouvent pour un verre de l’amitié devant le parvis de l’église.

A Jettingen, les rois Mages sont également présents et ont récolté des dons pour l’école en 2018.

Les chansons des trois rois #

A Feldbach #

D’heilige Drey kenig met ehrem Starn
Bi Gott, dert ware se garn
Si reise drey Johr lang
Durch mank fremds lans
Her Zil esch Bethlehem, David’s Stadt
Wu Maria s’ Christkind gebore hat
Sie hats gebore, un das isch wohr
Mir winsche eych alle e güets Neyjohr 

Les saints trois rois avec leur étoile
Voudraient bien être auprès de Dieu
Ils voyagent durant trois années
A travers maints pays étrangers
Leur but est Bethléem, la cité de David
Où Marie a mis l’enfant Jésus au monde
Elle l’a mis au monde et cela est vrai !
Nous vous souhaitons à tous une bonne année !

Et suivant si une offrande était reçue.

Mir danke eych fir eyre Gabe
Gott loss eysch das Johr im Freda lawe
Dr Starn, da müess awer witterscht reise   

Nous vous remercions pour vos dons
Que Dieu vous laisse vivre en paix cette année!
Mais l’étoile doit poursuivre sa route

Sinon,

Ihr wann uns also gar nit gà 
Drumm soll eych dr Deyfel alles nà

Puisque vous ne voulez rien nous donner
Que le diable prenne tous vos biens

A Roppentzwiller , un extrait de la chanson #

Was wollen wir singen und riàhme
Den heiligen drei König ein neues Liäd !
Sie lege züe Kelle am Rheine !
Kenig Kaschper Kam aus Morgenland
Balthasar kam aus Griächeland
Melchioris aus Estreiche !
Sie folgten dem starne ganze fleischig nach
Sie wollten das land durchraise 

Que voulons nous chanter et rythmer
les trois rois une nouvelle chanson
Ils reposent à Cologne près du Rhin
Roi Caspar venu de l’ Est
Roi Balthasar venu de Grèce
Melchor d’Autriche
Ils ont suivi avec attention l’ étoile
Ils voulaient voyager sans s’arrêter à travers le pays

Wadighoffen #

Die heiligen drei Kénige mit ihrem Stern,
Die saufen und fressen un bezahlen nicht gern

Les trois rois mages avec leur étoile
Boivent et mangent et n’aiment pas payer

Courtavon #

A deux genoux, la tête découverte
Pour adorer ce grand prince céleste
O rois des rois, je t’y baise les mains
Je t’y reconnais pour mon Dieu souverain,
Pour mon Dieu souverain

La protection des maisons   #

Que ce soit la douzième nuit (5 janvier), le douzième jour de Noël ou la veille de la fête de l’Épiphanie, ou le jour même de l’Épiphanie (6 janvier), de nombreux chrétiens tracent sur leurs portes un motif comme celui-ci, « 20 † C † M † B † 19 ». Les chiffres se réfèrent à l’année civile (20 et 19, par exemple, pour l’année 2019) ; et les lettres ont une double signification : C, M et B sont les initiales des noms traditionnels des Mages, Gaspard (Caspar), Melchior et Balthazar, mais elles sont aussi une abréviation de la bénédiction latine « Christus mansionem benedicat », qui signifie que le Christ bénisse cette maison.

Dans certaines localités, pour écrire l’inscription, on utilise une craie bénie par un prêtre le jour de l’Epiphanie. Les chrétiens ramènent ensuite la craie à la maison et l’utilisent pour écrire le motif.

Sternsinger, gravure de Bacher.

En Rhénanie, les Sternsinger (chanteurs à l’étoile) souvent trois enfants, déguisés en rois Mages dont un des rois  porte une étoile vont de maison en maison annoncer, en chantant un chant de noël, la bonne nouvelle de la naissance du Christ. Ils inscrivent sur les demeures “C+M+B”

Cette coutume chrétienne de marquer la porte a un précédent biblique : les Israélites dans l’Ancien Testament ont marqué leurs portes afin d’être sauvés de la mort.

En Autriche on utilise de la craie (des kits portant encens, craie sont mêmes bénis, disposés au fond des églises ou distribués dans les églises du Tyrol, ils comportent aussi de l’encens afin de bénir l’intérieur de la demeure) on a utilisé des mèches imbibées de cire ou des gouges.  On applique l’inscription sur la partie intérieure de la porte d’entrée, un linteau. Elle est considérée comme protectrice en cas d’orages, d’intempéries et même des incendies. 

Les familles accomplissent aussi cet acte parce qu’il représente l’hospitalité de la Sainte Famille aux Mages (et à tous les Gentils). Cela sert donc de bénédiction à la maison, ses habitants et ses visiteurs, pour y inviter la présence de Dieu.

Sources #

  • Dr Heino Pfannenschmid : Weinhnachts, Neujahrs und Drei Königsklieder, 1884, Colmar, E.Barth
  • Michele Bardout,La Paille et le Feu, 1980, Berger-Levrault
  • Joseph Lefftz , Elsässiches Volksleben am Jahresanfang ,1973, AP
  • Joseph Lefftz, Elssäsche Dorfbilder , 1958, Sutter Woerth
  • Armelle Kuntz, August Bitsch raconte, 2003, Alain Sutton